Dans un regard rapide, on pense que c'est de la buée.
Puis, non, finalement.
De l'eau. De l'eau salée. Séchée. Incrustée sur les vitres, comme des gouttes figées, scotchées. Pas vraiment l'impression d'y voir des cristaux de sel, pourtant. Plus une réminiscence de cire de bougie.
La clarté est faible derrière cette vitre. Un flou continuel, entretenu par l'arrivée de nouvelles gouttes d'eau de mer, réelles et spontanées.
Le bateau dodeline sur le raz de Sein endormi mais un sommeil légèrement agité. La houle hyperactive et serpentine fait son office. Tranquillement, sans effort, sans aide extérieure. Juste ce qu'il faut pour le balancier. Parfois, un creux de deux mètres et le rebond envoie sur les vitres de nouvelles gouttes fraîches qui dégoulinent mollement sans complètement disparaître. Elles rejoignent leurs camarades salines, accentuant le flou de transition intérieur/extérieur.
Là, dehors, dans le balancier lymphatique, on ne distingue que des silhouettes à peine esquissées : le dos de baleine de la pointe du Raz, la présence d'un trait fugace, le phare de la Vieille et plus loin, deviné, pas vraiment vu, le phare de Tevennec.
C'est un paysage de teintes brunes, noires, entretenu par le flou perpétuel des vitres.
Alentour, l'humeur est maussade et baigne dans des gris dissonants aux traits d'horizon marqués, tout à tour laiteux ou anthracites.
Et le bateau dodeline toujours. Quelques ressacs de mal de mer et la parole philosophe d'un homme d'équipage, terrien compétent en gestion de gravité aléatoire : "Pourtant, c'est pas la saison du vomi".
On aperçoit l'île uniquement quand le bateau manœuvre pour l'accoster. Un trait de plume entre terre et mer. On le savait, on avait lu un peu avant. Queffelec, Abraham, Rachilde. Et Perros, son "assiette plate au ras des eaux".
Dans la passe, le bateau ne dodeline plus. On arrive, donc.